Hé ! Dites-moi..., c’est loin là-bas ?
18 septembre - 04 novembre 2020
Françoise Besson est heureuse d’offrir pour la première fois les murs de sa galerie à l’artiste lyonnais Alain Pouillet pour une exposition qui se tiendra du 18 septembre au 04 novembre. Dans la grande et la petite galerie. Seront montrées des oeuvres inédites issues de 4 séries sur lesquelles travaille l’artiste depuis deux ans.
Les quatre mondes par Bénédicte Maselli, docteur en histoire de l’art contemporain
« Alain Pouillet fait partie de ces artistes qui ont de la magie dans le coeur et qui la matérialisent sur la surface de la toile.Il raconte des histoires à ses spectateurs aux frontières entre le réel et l’imaginaire, entre le visible et l’invisible. Le style est singulier et sous des apparences ludiques évidentes, les niveaux de significations sont aussi multiples que complexes.
Autodidacte, il peint et dessine depuis l’enfance. En effet, il réalise pour son instituteur des cartes imagées à la gouache blanche. Cette technique est chère à l’artiste puisqu’on la retrouve jusque dans sa dernière série de plus de quatre-vingt petites peintures – qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler des cartes postales – dans laquelle chaque dessin est rehaussé à la gouache blanche afin de mieux souligner la dimension lumineuse de ses personnages.
Alain Pouillet est né en 1953 à Serbannes, dans l’Allier. Artiste-peintre, il a participé à plus de 130 expositions individuelles et collectives depuis 1975, en France et à l’étranger. Nombreuses oeuvres sont conservées dans les collections publiques et privées faisant de lui l’une des figures significatives de la peinture contemporaine.
C’est avec attention et réflexion qu’Alain Pouillet regarde toute l’histoire de la peinture et pour lui, elle est avant tout un processus qui n’est jamais fini.
A ce titre, ses influences s’étendent des icônes qu’il affectionne car il aime lorsque l’image sort du cadre et s’échappe pour un au-delà de la narration qui se dérobe : elles parlent ainsi du visible en convoquant l’invisible.
Il est également profondément marqué par la Renaissance flamande, par l’univers satyrique et allégorique de Jacob Jordaens plus particulièrement. Il aime aussi les maniéristes, dont la lumière évanescente des peaux laiteuses de Jacopo Pontormo.
Ainsi, les images que livre Alain Pouillet convoquent une multitude d’iconographies, et sont des « histoires de peintures » au sens de Daniel Arasse1.
Daniel Arasse est un historien de l’art français spécialiste de la Renaissance italienne. Daniel Arasse fut apprécié du grand public pour ses qualités de « vulgarisateur » et la pédagogie de ses analyses d’oeuvres dans lesquelles il il met en valeur ce qui est visible par tous, nous incite à regarder par nous-mêmes et à ne pas soumettre excessivement le figuratif à l'ordre du discours savant.
Pour la galerie Françoise Besson, Alain Pouillet présente quatre séries, quatre mondes qui se succèdent et se répondent. Sous des apparences joyeuses, ils portent aussi en eux toutes les inquiétudes de notre temps.
C’est dans une approche mystique qu’il tente de représenter la mémoire invisible du monde et ce, grâce à la figuration alors même, que d’ordinaire les artistes se dirigent pour cela vers l’abstraction.
Pour l’artiste, l’art revêt un caractère magique puisqu’ « avec la peinture nous ne sommes pas dans la réalité car on est dans l’image mais les images parlent finalement et toujours à nos réalités ».
Le premier monde que nous rencontrons, est celui des satyres.
Les satyres sont des créatures mythologiques représentées sous les traits d’hommes nus, rustres et difformes. Ici, ils ont des sabots, des cornes et adoptent une attitude grotesque. Ces personnages sont associés à Dionysos et aux bacchanales qui l’accompagnent. Leur apparition verse ainsi dans l’univers joyeux et décalé des plaisirs du vin et de l’ivresse mais que représentent-ils ?
Ils sont en fait des métaphores de l’individu, libéré des normes et des injonctions sociétales.
En effet, leurs comportements désinvoltes et moqueurs manifestent une totale décontraction par rapport aux normes civiques liées au contrôle de soi.
Les satyres sont donc en ce sens autant l’incarnation de l’expression libre et libérée que celle d’un monde décadent.
Les deuxième et troisième mondes présentés ensuite par Alain Pouillet sont ceux des mondes humains et cosmiques.
Ils sont ici présentés sous la forme de petits autels qui reprennent la longue tradition des retables et qui selon l’ouverture ou la fermeture, viennent interroger les notions de voilé et de dévoilé, de visible et d’invisible.
L’arrière des autels – le monde cosmique – fait une référence directe à l’un des thèmes fondamentaux de la nouvelle Kabbale, le Palais des vases brisés.
Il s’agit d’un récit de la pré-genèse, d’une légende hassidique selon laquelle un palais céleste hébergerait des vases qui contiendraient toutes les âmes du monde.
Mais un jour, les vases se brisent et les âmes s’éparpillent puis s’égarent. Ainsi, l’idée de la peinture consiste en la réparation des vases pour y replacer les âmes.
Autrement dit, il semblerait, que dans un monde en déroute, l’artiste tente de réorganiser le chaos originel pour rétablir un ordre perdu.
Enfin, le quatrième et dernier monde est celui de la nature et des animaux qui la peuplent.
Au centre, on y découvre un animal – tantôt un sanglier, tantôt une hermine blanche - réalisé à la tempera, tandis que l’arrière-plan matérialise la mémoire du monde et des choses. Ainsi, l’animal vient se coller sur cette dernière.
Ces créatures qui surgissent sur la surface de la peinture, qui nous fixent, viennent nous poser une question :
Qu’avez-vous fait du monde ?
Ainsi, à l’ère de l’anthropocène, c’est face à une nature qui s’inquiète et nous prévient que nous confronte l’artiste.
Cri d’urgence ou métaphore de la vie, Alain Pouillet nous invite délibérément à s’inquiéter devant ses images, autrement dit, à nous poser des questions, tant sur notre existence individuelle que collective »